Pour les collectivités
L’agroforesterie pour des paysages multifonctionnels
La gestion des terres agricoles est à la croisée de grands enjeux actuels, et être à la tête d’une exploitation agricole représente une forte responsabilité envers les questions de biodiversité, qualité de l’eau, conservation des sols ou réchauffement climatique… tout en continuant à nourrir l’Homme ! Penser la place de l’arbre dans les agrosystèmes offre une opportunité de prise de recul sur cette complexité, et de remettre en question un système agronomique en incluant une vision du long-terme.
Entretien imaginaire avec une collectivité territoriale
On entend de plus en plus parler de l’agroforesterie comme solution aux grands enjeux agro-environnementaux, mais comment se définit l’agroforesterie exactement ?
L’agroforesterie regroupe les écosystèmes agricoles qui utilisent l’arbre comme élément structurant. L’arbre peut être implanté à l’intérieur de cultures de manière isolée, en alignement, en haie ou en bosquet. Les pratiques agroforestières traditionnelles valorisent au mieux leurs territoires en termes de productivité et de diversité des productions. Mais l’agroforesterie inclut potentiellement bien d’autres bénéfices. Voici quelques exemples que l’on pourrait ou pouvait trouver en Dauphiné :
les prés-vergers : production de lait, de viande bovine et de fruits, santé et bien-être animal
le bocage de montagne : polyculture-élevage, production de bois-énergie, bien-être animal
noyeraies du Dauphiné : cultures intermédiaires de maïs pour profiter de l’espace le temps que les noyers prennent la place
les platanes Napoléoniens : pour protéger les troupes militaires (et autres commerçants) de la chaleur => bien-être animal !
Lors des dernières décennies, la recherche a confirmé d’autres bénéfices des systèmes agroforestiers. Les réseaux de haies sont maintenant reconnus comme pierres angulaires de la biodiversité ordinaire, ainsi que comme des outils de lutte contre l’érosion et la pollution. Aussi, les haies et alignements d’arbres permettent de limiter les effets de certains extrêmes climatiques, comme les tempêtes ou les sécheresses. Enfin, un dernier exemple : dans les vergers et vignobles, le pâturage des feuilles ou des fruits infectés permet de casser le cycle écologique des ravageurs en question et de réduire les problèmes phytosanitaires.
Mais attention, l’agroforesterie est souvent vendue comme une solution miracle à tous les problèmes, mais la réalité doit être nuancée. L’agroforesterie, comme la plupart des approches agro-écologiques, ne répond pas parfaitement à tous les objectifs définis, et demande temps, argent et adaptabilité.
Reste que le potentiel semble être conséquent ! Pourquoi cela ne se généralise-t-il pas ?
La mécanisation et la spécialisation des territoires agricoles ont souvent rendu les systèmes agroforestiers caduques. A l’époque des grands remembrements, on ne connaissait pas encore suffisamment les bénéfices transverses des structures arborées, et l’arrachage des bocages a rarement été compensé. Il y a quand même de beaux exemples de collectivités où citoyens et agriculteurs ont travaillé ensemble pour replanter un réseau bocager adapté aux nouvelles parcelles. Dans d’autres territoires, le bocage a été en partie préservé pour des raisons patrimoniales. Mais globalement le bocage a énormément reculé depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. Cette dynamique négative ne s’est arrêtée que récemment en France, et aujourd’hui les arrachages sont juste compensés par de nouvelles plantations agroforestières « modernes ».
Les freins au développement de l’agroforesterie sont plus souvent socio-économiques que techniques. Planter des arbres, c’est attendre des années un début de production pour une perte de surface cultivée instantanée, et cela engendre une charge de travail supplémentaire. Ceci est logiquement peu incitatif dans un contexte de contrainte économique forte sur les exploitations agricoles. Pourtant, les exploitants sont de plus en plus conscients des bénéfices multiples des structures arborées, et beaucoup étudieraient la question plus sérieusement si une partie des contraintes étaient partagées ou compensées. Un second gros point noir est certainement la question du foncier agricole. Ni le locataire ni le propriétaire ne peuvent forcer l’autre à planter. Le locataire ne veut pas forcément investir temps et argent dans quelque chose dont il ne verra pas les fruits. Le propriétaire a souvent peur d’une perte de valeur de la terre en cas de plantation d’arbres. Trouver des incitations à la plantation et des modèles économiques viables à long terme sera primordial pour déverrouiller ces blocages.
En effet, certains enjeux et contraintes relèvent des compétences des collectivités territoriales… comment pourraient-elles s’impliquer ?
Historiquement, le développement de l’agroforesterie s'est fait principalement à l’échelle de la parcelle. Ceci a produit bien des expérimentations isolées, mais avec un impact faible à l’échelle territoriale. Pourtant, c’est à cette échelle où se situe tout le potentiel transformateur de l’agroforesterie, notamment sur les questions liées au développement durable. Il convient de prime abord de formuler les objectifs, qui doivent être clairement définis aux échelles :
de la parcelle ("services agronomiques") : diversification des productions, fertilité des sols, santé et bien-être animal, protection des cultures, bois énergie…
du territoire ("services écosystémiques") : productivité des paysages agricoles, biodiversité (la trame verte et bleue!), qualité de l’eau et de l’air, qualité de l’alimentation, érosion, adaptation et mitigation du réchauffement climatique.
L’agroforesterie n’ambitionne pas de répondre parfaitement à tous ces objectifs, les compromis étant inévitables sur des problématiques complexes. Les arbitrages peuvent se faire selon un système de pondération "sociétale". Par exemple, les rendements et la productivité agricole étaient très prioritaires au sortir de la seconde guerre mondiale, alors qu'aujourd'hui la société s'accorderait sur des pondérations plus équilibrées entre les différents services écosystémiques.
Une approche territoriale permettrait certainement de favoriser un développement plus cohérent de l’agroforesterie afin de répondre aux grandes problématiques actuelles. On parle alors de co-conception entre tous les acteurs intéressés, afin d'inclure toutes les sensibilités même si elles sont parfois antagonistes. Les collectivités pourraient implémenter des mesures incitatives adaptées au contexte local, ainsi que soutenir des approches de développement multi-acteurs. Des exemples inspirants sont à prendre dans certaines collectivités du Nord-Ouest de la France, où le paysage bocager redevient un élément structurant dans les secteurs socio-économique et environnemental.
Si je comprends bien, le développement de paysages agroforestiers fonctionnels pourrait faire partie de l’ingénierie territoriale ?
Exactement. La co-conception de paysages agroforestiers devra inclure tout les acteurs intéressés, de la définition des objectifs jusqu’aux arbitrages techniques et financiers. Ces acteurs sont tout ceux dont la mission et/ou les compétences incluent des objectifs de transition des paysages : les élus locaux et leurs services techniques, le monde agricole&forestier, les structures de propriétaires fonciers, les acteurs de l’environnement, la recherche, et surtout sans oublier les citoyens qui désireraient s’impliquer.
Et pratiquement, on fait quoi ?
Voici une liste d’actions qui pourraient permettre de développer une approche territoriale, et qu’une structure technique de conseil en agroforesterie pourrait animer et coordonner :
présentation/projection-débats « tout public » : objectif de sensibilisation.
formations de découverte de l’agroforesterie auprès des agriculteurs et des propriétaires. Ceci se complémenterait très bien avec des visites d’exploitations pionnières de la région.
réunions de terrain : définition des objectifs d’agriculteurs ou de collectivités intéressés, dans le but de concevoir des projets pilotes.
réunions territoriales « multi-acteurs » : définition des objectifs sociétaux (tables rondes, jeux sérieux, débats) => décider ensemble !
sur les projets pilotes qui aboutissent : organisation de chantiers participatifs de plantation participative => agir ensemble !